Nous traversons en cinq jours le Turkménistan, car il est impossible d'obtenir un visa plus long. Au programme, beaucoup de kilomètres, mais aussi la découverte de l'une des dictatures les plus sévères du monde.
Devant le poste de douane ouzbek, nous nous installons dans un petit bistrot et sympathisons avec un homme qui nous invite à sa table. Coup de chance: Islombek a le grade de capitaine et travaille à la douane, ce qui facilitera grandement notre sortie du pays le lendemain. Il nous offre des bières toute la soirée. Comme il est en service, il fait servir les siennes dans une assiette à soupe. Vers minuit, il repart travailler et nous allons dormir derrière le premier check-point militaire. Le lendemain, la sortie d'Ouzbékistan se passe sans problème.
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Attroupement de curieux juste avant la douane |
Le poste de douane turkmène est un bâtiment flambant neuf. Nous commençons par passer une visite médicale, puis après une demie-heure d'attente vient le moment de payer une taxe d'entrée de 12 dollars. Le fonctionnaire en charge d'encaisser l'argent est un petit homme gras et mauvais qui se met à hurler car nous ne comprenons pas ses instructions en russe. La scène de déroule sous les regards amusés et plein de compassion des routiers turcs et iraniens qui font la queue avec nous. Finalement un reçu de 10 dollars nous est délivré et nous pouvons retourner vers le guichet principal. Le douanier veut connaître notre itinéraire ainsi que les hôtels où nous séjournerons. Nous restons évasifs et il finit par ne pas insister.
Reste le contrôle de notre équipement. Le douanier fouille le contenu de mon smartphone, efface quelques fichiers (des images de billets turkmènes). Il voit une carte du monde "you work interpol?". Il trouve des films et s'empresse de demander "porno, porno?" avec les yeux qui brillent. Lorsqu'il voit ma pompe il me demande si c'est un godemichet avec des rires gras. Bref, nous sommes tombés sur un intellectuel. Nous avons beau traîner autant que possible, l'intégralité de notre équipement sera passé au peigne fin.
A 11h, nous montrons pour la dernière fois notre passeport tamponné et pouvons quitter la douane.
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Traversée du désert |
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Épiciers qui nous invitent à boire le thé |
Le premier soir, nous nous arrêtons pour manger dans un restaurant au milieu du désert. La patronne nous propose de dormir dans la salle à manger, ce que nous acceptons avec plaisir. Elle gère le café avec ses trois filles. Notre guide de conversation Anglais-Turkmène permet à chacun d'apprendre quelques mots dans la langue de l'autre, nous passons une bonne soirée (pas de photo hélas).
Au moment d'amener nos vélos dans le garage pour la nuit, nous sommes attaqués par un vilain molosse, heureusement enchaîné, et lui échappons de justesse. Ce chien de garde est célèbre pour avoir blessé deux cyclistes (l'un d'entre-eux a même dû être hospitalisé).
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Traversée du désert |
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Deux mondes qui cohabitent |
Le lendemain nous réalisons un nouveau record (qui tiendra probablement jusqu'à Genève) avec une journée de 220km. Cette longue étape nous permet de rester une journée entière à Mary le lendemain, capitale de province comptant 120'000 habitants.
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Mary de jour |
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Mary de nuit (four à chachlik) |
Nous arrivons dans Mary à la tombée de la nuit. Alors que nous longeons l'aéroport, nous voyons dans nos rétroviseurs que nous sommes suivis par un policier en voiture banalisée. Au bout de 5 min, craignant d'être repéré, il éteint ses phares. Nous trouvons cela très rigolo car rien n'est moins discret qu'un véhicule sans phare roulant juste derrière nous à 20km/h. Après un moment il change de technique: il nous dépasse puis se parque 500m plus loin et attend que nous le dépassions pour recommencer la manoeuvre. Au bout de vingt minutes il finit par se désintéresser et nous ne le revoyons plus.
Nous nous installons dans le Sanjar Hotel, vieil établissement soviétique.
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Ne jamais laisser un cycliste s'installer dans votre hôtel |
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Salle de bain à l'hygiène discutable |
Se promener dans une ville turkmène est une expérience unique, marquante. Sur l'entrée de chaque bâtiment public est accroché un gigantesque portrait de Gorubanguly Berdimuhamedow. Un culte de la personnalité invraisemblable lui est voué dans tout le pays. Il s'agit du deuxième président turkmène, après Saparmurat Niazov, autoproclamé "Türkmenbaşy" (le père de tous les Turkmènes) et mort en 2006.
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Un des très nombreux bâtiments publics |
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Les Turkmènes sortent le grand jeu lorsqu'il s'agit de mariage |
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Mosquée "Hajji Gurbanguly", renommée en l'honneur du nouveau président |
Le premier président, Sapparmurat Niyazov, a écrit le "Ruhnama" (Le Livre des Âmes), mêlant expériences personnelles et préceptes moraux sur fond de culture turkmène. Niyazov (son auteur) considérait l'ouvrage comme aussi important que le Coran.
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Statue, Mary |
Nous nous mettons donc en quête de ce livre, assez curieux de le feuilleter. J'entre dans une papeterie, dans laquelle de nombreux portraits de Berdimuhamedov sont affichés. Une vendeuse s'approche de moi, souriante. Lorsque je prononce le mot "Ruhnama", son visage se glace. "Нет!", fin de la discussion. Visiblement c'est un sujet dont on n'aime pas parler. Mieux vaut donc se renseigner auprès des policiers (ce qui en soi n'est pas un problème, il y en a absolument partout).
Un policier finit par nous indiquer un lieu où nous pouvons trouver le Ruhnama. Il s'agit d'une librairie d'Etat, lieu un peu fou. On y trouve exclusivement des objets à la gloire du président et de son pays: livres, posters, calendriers, porte-clés, etc. Le Ruhnama y est également disponible dans toutes les langues.
Le responsable est très sympa. Je lui demande si je peux prendre une photo de l'endroit: "нет!". En fait, toutes mes demandes de photos en ville se sont terminées de cette façon (sans parler des photos de bâtiments publics, qui sont rigoureusement interdites).
Après deux nuits à Mary, nous reprenons la route vers le sud. Nous quittons la nationale pour rejoindre une petite route assez mauvaise qui va directement à la douane iranienne.
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Membres d'un groupe de rock turkmène qui nous font boire de la vodka en plein soleil |
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Derniers kilomètres au Turkménistan |
A la sortie du pays, nous devons une nouvelle fois ouvrir toutes nos sacoches. Lorsque le douanier tombe sur mon exemplaire en anglais du Ruhnama, son attitude change radicalement. La fouille minutieuse s'arrête net. Il se met à feuilleter le livre et me demande de lire à haute voix des passages en anglais, avant de les répéter en turkmène. Puis il nous fait signe que nous pouvons y aller.
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Vous remarquerez que nous ne partons pas tous égaux pour affronter le désert |
Après 5 jours, il est déjà temps de quitter ce pays un peu fou. Dommage de ne pas pouvoir rester un peu plus... quoi qu'il en soit cette traversée reste une expérience unique qui ne peut laisser indifférent.
Prochaine étape: traverser le nord est de l'Iran pour rejoindre Téhéran.
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